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dépens du pauvre monde. Empoisonner de lièvres ou de lapins le champ d’un paysan qui ne chasse pas, c’est lui manger sa récolte après l’avoir transformée en viande. Les grands seigneurs qui s’adjugeaient autrefois le privilége de la chasse grugeaient le laboureur par l’entremise de leur gibier. La justice veut absolument que tout plaisir soit payé par ceux qui en jouissent à celui qui en fait les frais.

Nous sommes démocrates, et la sainte égalité nous est plus chère que nos plaisirs. Nous pensons donc que la chasse doit être permise à tout Français sans exception, pourvu qu’il paye sa part du dégât ; car on ne saurait trop le dire, toute viande se nourrit sur le sol, et, dans un pays où le sol est cultivé sur presque toute son étendue, les chevreuils, les lièvres, les lapins, les perdrix représentent une certaine quantité de récolte détruite. Vous n’avez pas le droit de faire paître vos bœufs ou vos moutons dans l’herbage du voisin ; pourquoi feriez-vous pâturer vos lièvres dans son trèfle, vos lapins dans ses choux, vos chevreuils dans ses bois, vos perdrix dans son blé ?

Il semble juste à première vue que tout Français puisse chasser n’importe où. Le gibier libre n’appartient à personne ; ainsi le disent les vieilles lois ; il est la proie de celui qui sait le prendre. Pour moi, je ne sais rien de plus inique que cette