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faire, ne rien dire et ne rien penser par moi-même, et un simple citoyen, un vil contribuable se permettrait de raisonner tout seul ! »

Il suit de là que nous avons vu de fort honnêtes gens malmenés (au nom de l’Empereur, qui n’en savait rien) pour avoir dit loyalement ce qu’ils pensaient. Or, le plus patient des hommes est enclin à se révolter contre la force. On se met en colère, on va trop loin, on est conduit nécessairement à viser haut, puisque les basses et moyennes régions du pouvoir sont couvertes par la responsabilité impériale, et l’on devient impossible, malgré soi.

Un fonctionnaire se dit, avec juste raison : J’appartiens corps et âme au gouvernement qui me paye ; quoi qu’il décide, il a raison pour moi ; je suis tenu de lui prêter les mains, ou de rentrer dans la vie privée. Mais la funeste erreur des fonctionnaires impériaux est d’appliquer le même raisonnement à tous les citoyens du pays. « M. un tel est d’accord avec nous sur quatre-vingt-dix-neuf questions, mais il ose trancher sur la centième avec indépendance. Si j’agissais ainsi, je serais un mauvais fonctionnaire : donc, M. un tel est un mauvais citoyen. »

Que les dieux, que les papes argumentent de la sorte ; qu’ils disent carrément : celui qui n’est pas pour moi en toutes choses, est contre moi : ils sont dans la logique de leur rôle. Mais cet absolutisme moral est-il bien à sa place chez des hommes sujets