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DOULEURS ET DÉFAILLANCES.

en Alsace, il y a même des gens qui, du matin au soir, ne font guère autre chose. Je livre ce détail à M. de Bismark sans crainte de troubler sa digestion princière. Le deuil public a modifié les caractères, les relations elles mœurs. Toutes les vieilles querelles sont finies, les rancunes oubliées ; un Alsacien ne peut plus haïr un Alsacien ; il a mieux à faire ! Ceux qui se connaissaient à peine s’abordent comme de vieux amis ; deux hommes qui échangeaient une poignée de main tous les six mois se jettent dans les bras l’un de l’autre ; les pauvres gens s’entretiennent familièrement avec les riches : la communauté du malheur à tout rapproché, tout nivelé. Et cette multitude d’opprimés trahit dans ses moindres actions une sensibilité maladive ; un souvenir, un mot, un rien suffit pour attendrir le visage le plus froid ; à tout propos l’amertume des cœurs déborde par les yeux.

Par une contradiction que la philosophie allemande expliquera si bon lui semble, les plus anciens et les meilleurs amis s’évitent ou rompent ouvertement, si la haine du joug prussien varie d’un seul degré dans leurs âmes. On se pardonne tout, excepté une faiblesse pour l’ennemi. Sur ce chapitre, les hommes les plus doux sont inflexibles, les plus confiants se montrent soupçonneux et farouches. Le Haut-Rhin surveille le Bas-Rhin,