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ALSACE.

prussiennes, si le fils passe à l’étranger, les parents sont coupables d’avoir encouragé ou toléré sa fuite ; on confisque leurs biens, on les ruine, on les réduit à l’hôpital. Si c’est le sort qui nous attend l’année prochaine, qui pourrait nous blâmer de prendre les devants ?

« Personne ne peut dire ce qu’il adviendra de nous. Tout le peuple de trois départements et demi se voit livré sans défense à la plus odieuse des fatalités, qui est le caprice d’un homme. Demain ne nous appartient pas, l’heure présente n’est à nous que par une sorte de tolérance. Et pourtant, nous ne désespérons point de l’avenir : une foi vivace, robuste, obstinée, soutient et anime les cœurs. Nos ouvriers, nos paysans, nos pauvres, sont naïfs et confiants jusqu’à la folie. Ils voient leur délivrance avant l’été prochain. Ils vous disent sérieusement qu’Abd-el-Kader est venu offrir son épée au gouvernement de Versailles, et qu’il commandera l’armée sous la direction de M. Thiers ; que Mac-Mahon lève à Paris tous les hommes de vingt à quarante ans. Hier, tandis qu’un peintre allemand effaçait le nom de Saverne pour écrire Zabern sur la façade de la gare, deux ouvriers alsaciens lui criaient : « Ne prends donc pas la peine ! Tu sais bien qu’il faudra tout changer dans trois mois ! »

« Nous qui ne sommes pas des enfants, nous ne désespérons ni de la France, ni de l’Europe,