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ALSACE.

orchestre allemand qui prend possession de l’estrade. Les musiciens n’avaient pas eu le temps d’accorder leurs instruments que tous les verres étaient à sec et le jardin désert.

« Condamnés à frôler sans cesse l’uniforme allemand dans les rues, non-seulement nous avons changé nos habitudes, renoncé à la flânerie, à la promenade, aux conversations du trottoir, mais encore nous avons appris à faire un travail d’abstraction qui supprime pour nous la présence des ennemis. Nous passons auprès d’eux sans que nos yeux trahissent le dépit, l’humiliation ou la haine ; nous traversons leurs groupes avec une telle sérénité de dédain, nous nous heurtons à leurs coudes avec une insensibilité si évidente que chaque Prussien en Alsace peut se croire invisible et même impalpable, et chercher instinctivement à son doigt l’anneau fabuleux de Gygès.

« Nos enfants, vous le comprendrez, ont encore quelques progrès à faire. On ne peut pas exiger que des élèves en stoïcisme s’élèvent du premier abord à la hauteur de leurs maîtres. La jeunesse est gamine ici comme partout, mais nous assistons quelquefois à des gamineries plaisantes.

« Il y a quelque temps, quinze ou vingt petits drôles se réunirent sur la place et se mirent à singer les soldats qui faisaient l’exercice. Leur capitaine de douze ans imitait à merveille le ton sec