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LA RÉSISTANCE.

« Les premiers qui passèrent faisaient halte à Saverne : on se les partageait, on se les disputait, on se les arrachait, on les traînait à la maison : c’était une manie, une fureur d’hospitalité. Les plus pauvres gens des faubourgs et de la basse ville couchaient sur les planches pour donner leurs lits aux soldats, jeûnaient pour les nourrir, buvaient de l’eau pour leur offrir du vin, se dépouillaient pour les habiller. Les Allemands comprennent bientôt que tout cela n’avance pas leurs affaires, ils brusquent l’opération, suppriment les couchées, limitent les temps d’arrêt au strict nécessaire. Les alsaciens, de leur côté, abandonnent le logis, l’atelier, la boutique, font élection de domicile autour des gares, guettent les trains, et deux, trois fois par jour, envahissent la voie malgré les brutalités du vainqueur pour régaler, accoler, embrasser les soldats de la France. Les coups de crosse n’y pouvaient rien : j’ai vu des femmes les recevoir sans sourciller et d’autres giffler résolûment le Prussien sous son casque. Nos ennemis changent de note ; ils décident que les prisonniers ne voyageront plus que la nuit. Dès ce moment, les Alsaciens renversent leurs habitudes, dorment le jour, passent leurs nuits sur pied, errent comme des ombres autour des stations, se soutiennent par le café et par la fièvre. C’est dans une de ces expéditions nocturnes que l’aimable, la vaillante,