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ments de travail, des présents, des souvenirs.

Il faut avoir traversé une crise comme celle-ci pour savoir à quel point on aime ce qu’on a. Nous tenons par mille fils invisibles aux choses qui nous environnent, et lorsqu’il s’agit de s’en détacher pour un temps illimité, on laisse à chacune d’elles un lambeau de soi-même et l’on s’en va tout déchiré. Autrefois, je partais d’ici pour quatre, cinq ou six mois sans regretter ce que j’y laissais, parce que j’étais sûr que la maison m’attendait tout entière ; maintenant qu’il s’agit de fermer la porte pour de longues années, je me lamente de ne pouvoir tout prendre. À chaque pas, je rencontre des objets qui représentent un voyage, une amitié, un travail, un bonheur, un deuil, et qui semblent me reprocher mon abandon. C’est une arme par-ci, un tableau par-là, un buste, un meuble, une faïence, une étoffe. Ceci me rappelle l’Égypte, cela la Grèce, ou l’Angleterre, ou l’Autriche, ou l’Italie.

Et par une contradiction qui paraîtra non-seulement étrange, mais peut-être absurde à plus d’un, je regrette encore moins les choses que j’ai possédées ici que celles que j’y ai rêvées. J’ai une chambre à coucher faite par moi, pour moi, selon mes goûts ; elle a cinquante mètres carrés, cinq fenêtres, un lit de chêne tout près de terre et large de sept pieds et demi ; quatre énormes baluts