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la mode n’aient pas fait litière de cela comme de tant d’autres nobles choses. Ah ! nous sommes mal nés, dans un temps trop serein, trop pacifique et trop confortable surtout ! Il faut réagir maintenant, se refaire le sens moral, et devenir, s’il se peut, d’autres hommes.

La Lorraine s’enfuit grand train derrière nous, Sarrebourg est dépassé, les tunnels, les vallées, les montagnes, les forêts se succèdent. Quelles forêts la France avait là ! quelle richesse nous avons perdue ! L’Allemagne nous prend la neuvième partie de notre sol forestier comme étendue, et la sixième partie comme valeur. C’est un capital de 250 millions, selon l’estimation la plus modérée, que nous abandonnons à l’ennemi : et personne n’a songé à le rabattre sur la rançon de cinq milliards.

Enfin, voici la gare de Saverne. J’y connaissais tout le monde autrefois ; maintenant, plus personne. Il n’y a que nouveaux visages et la casquette prussienne sur toutes les têtes. Cependant je retrouve un bon vieux qui prend des sacs de dépêches pour les porter à la poste. « Vous êtes donc devenu Prussien, mon brave homme ? » Il ôte la maudite coiffure, la tortille dans ses mains, la regarde piteusement, et répond : « Oui, j’ai pris ça pour vivre, mais j’en ai déjà assez, et je m’en vais bientôt en France. »