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ALSACE.

Toutefois comme la haute trahison, obstinément affirmée par le ministère public, était encore revenue sur le tapis, je ne crus pas inopportun de rappeler le vieux proverbe, qui dit : « On n’est trahi que par les siens. » Comment aurais-je pu vous trahir, n’ayant jamais été des vôtres ? Je suis votre ennemi, je hais les conquérants de la Lorraine et de l’Alsace, et je les hais non-seulement comme citoyen, mais comme individu. Vous avez annexé mon pays natal, Dieuze, une petite ville lorraine, c’est-à-dire plus que française, qui n’a jamais été allemande, où personne ne parle allemand, excepté vos nouveaux fonctionnaires. C’est là que mon père est enterré ; le tombeau de mon père est à vous. Vous avez annexé mon pays d’adoption, Saverne, où j’ai passé quatorze ans de ma vie, où j’ai écrit les trois quarts de mes livres, où j’ai vu naître quatre enfants, sur cinq que j’ai. Le berceau de mes enfants est à vous. Mais si je n’étais pas votre ennemi, je ne serais ni un fils, ni un père, ni un homme ! Écrivez, je vous prie, dans l’interrogatoire, que je suis votre ennemi.

Naturlich ! répondit le juge, avec l’imperturbable sérénité que j’avais déjà admirée. Et il dicta au greffier : « Je suis votre ennemi, je hais les conquérants de ma patrie. »

Quand j’eus signé la feuille, je pris congé en demandant si l’instruction était terminée.