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quelques cahots, on ne faisait qu’un somme jusqu’à Nancy. Là on s’éveillait tout exprès pour entendre ce brave accent lorrain, dont j’ai eu tant de peine à me défaire au collège, mais que j’apprécie en connaisseur dans la bouche d’autrui. Dès ce moment, mes yeux ne quittaient plus le paysage, et je ne me lassais point d’admirer la richesse un peu monotone de ce vieux sol lorrain qui m’a nourri.

Je reconnaissais les bons prés, je saluais en ami les fortes terres rouges, terres à blé qu’un attelage de six chevaux n’entame pas toujours sans peine ; j’encourageais du regard les jeunes houblonnières, nouvel espoir de nos pays ; je fronçais le sourcil devant les betteraves à sucre, gros revenu de quelques années avec la ruine au bout ; j’assistais au réveil des troupeaux de moutons dans leurs parcs, et je voyais le berger sortir tout ébaubi de sa maison roulante. Bientôt les deux clochers de Lunéville apparaissaient sur l’horizon ; style bourgeois, lourd, ampoulé, cossu, bonhomme au demeurant : c’est l’architecture des jésuites.

Les jardinets soignés, ratisses, taillés, émondés qui entourent la ville, me reportaient à mon enfance. Je n’ai jamais pu voir un potager correct sans penser à mon grand-père, excellent homme et parfait jardinier. La station d’Avricourt, où l’on s’arrêtait trois minutes, m’inspirait chaque fois