Page:About - Alsace, 1875.djvu/267

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
253
L’ÉMIGRATION.

champs serait une ruine, avec des auxiliaires d’un tel prix.

Bien ou mal payé, riche ou pauvre, le Prussien est un homme fort peu semblable à nous. On se demande encore en Alsace s’il a quatre estomacs, ou deux, ou, par cas invraisemblable, un seul. Il se nourrit des aliments les plus grossiers, qu’il absorbe en quantités effroyables. Un ou deux kilogrammes d’un pain noir, pétri de seigle et de sarrasin, sont la base de sa ration quotidienne. Il y ajoute du beurre, pour que le pain puisse glisser, des œufs, de la charcuterie et de la viande froide.

Ses repas ne sont point réglés comme les nôtres : il s’attable chaque fois qu’il a faim, et il a toujours faim et soif quand il sent quelque argent dans sa poche. J’ai remarqué dans un petit restaurant de Strasbourg un brillant officier qui déjeunait de vin, de pain noir et de fromage. Cette sobriété m’humilia et je dis à l’ami qui me tenait compagnie : « Mais ces gens-là, au train qu’ils mènent, feront tous fortune chez nous. »

Il répondit : « Gardez-vous de le croire. Le capitaine que vous voyez va déjeuner pour quinze ou vingt sous, mais c’est peut-être le quatrième repas de sa journée, et il est homme à en faire six autres, au même prix, avant le souper définitif qui le gorgera pour la nuit. Nos vainqueurs mangent