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L’ÉMIGRATION.

la tête, et d’ailleurs la jeunesse est facilement éblouie par les mirages de l’inconnu. Mais quand la machine a sifflé, quand la dernière voiture a disparu avec tous les chapeaux qui s’agitent aux portières, il reste sur le quai une masse inerte, hébétée, stupide, et comme anéantie par l’accablement du malheur. Cela vit cependant, car cela souffre, et la respiration qui sort de cette matière opprimée est un vaste et unanime sanglot.

Dieu sait combien de temps ils resteraient en place ! Mais les gens de la gare viennent bientôt leur rappeler que c’est fini. J’ai suivi un vieux couple de paysans qui s’éloignait à petits pas ; l’homme disait à la femme :

— En avoir eu trois, et maintenant plus un !

— Si seulement ils pouvaient être heureux ! reprit la mère.

— Et nous ? De si bons ouvriers ! Que ferons-nous sans eux ? Comment vivre ?

— Tais-toi donc ! à quoi sert de vivre ?

Ils devisèrent longtemps sur ce ton, en s’essuyant les yeux de temps à autre, et sans entremêler à leurs plaintes un seul mot de malédiction. Mais lorsqu’ils furent arrivés à leur porte, avant d’entrer dans ce logis désert, le vieillard recula d’un pas, leva le bras au ciel et murmura d’une voix sourde :