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ALSACE.

poteau qui fixe la limite des deux pays, au sommet du plateau, elle porte tristement son regard vers l’Alsace. Elle interroge les nombreux et infortunés voyageurs qui sillonnent la route, émigrants eux aussi, et demande à chacun d’eux si elle ne pourra pas bientôt retourner au pays natal et regagner sa vieille demeure. Chaque jour elle accomplit ce douloureux et sublime pèlerinage. Le messager tant désiré n’est pas venu encore ; vivra-t-elle assez longtemps pour le voir arriver ?

Mais les plus malheureux de tous sont ceux qui restent.

C’est à coup sûr par une faveur spéciale d’en haut que le roi Guillaume, M. de Moltke et M. de Bismarck, trois vieillards, poursuivent leurs glorieux desseins sans songer aux gens de leur âge, hommes et femmes, qu’ils plongent dans la misère et dans le désespoir. Les lois de la guerre semblent douces quand on les compare au régime de la paix prussienne : sur un champ de bataille, on ne tue que les jeunes ; sur leur champ de conquête, en pleine paix, les grands hommes de Berlin tuent tout.

Jamais les yeux de l’homme n’ont vu spectacle plus navrant que le départ de ces longs trains qui emportent la jeunesse alsacienne et lorraine loin du pays natal. Les garçons rient et chantent pour ne pas pleurer ; ils ont bu, ils se sont monté