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COLMAR.

désarmé lorsqu’on a ri. Moi qui vous parle, je logeais un officier par réquisition, et de plus je le nourrissais par pitié. Ce n’est pas que je sois riche, mais cet homme paraissait bien plus pauvre que moi ; il mangeait et buvait comme pour réparer toute une vie de privations, et je pensais en moi-même que nourrir un ennemi affamé, rendre le bien pour le mal, c’est faire œuvre agréable à Dieu et pratiquer la loi de l’Évangile. Mais un jour, à la brasserie, j’apprends, devinez quoi ? Que mon pensionnaire recevait quinze francs de Tagegeld, comme tous les officiers de son grade, et aux frais de la ville, encore ; si bien que par le fait je le nourrissais deux fois. L’idée d’avoir été sa dupe pendant trois semaines et plus m’échauffa les oreilles ; je rentrai furieux à la maison, et je trouvai mon gaillard devant ma table, la fourchette au poing. « Bon appétit ! lui dis-je ; soupez bien, car c’est le dernier repas que vous prendrez ici. N’êtes-vous pas honteux d’escroquer le pain d’un brave homme qui n’a pas quatre thalers d’argent de poche comme vous ? Je ne sais ce qui me retient d’ôter votre couvert et de vous envoyer finir ce repas à l’auberge. Je suis trop bon, je vous permets d’achever, puisque vous avez commencé, mais que le ciel me foudroie si vous tâtez encore de mon pain ! » Le capitaine écoutait mes imprécations en baissant la tête sur son assiette, sans tou-