Page:About - Alsace, 1875.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
195
COLMAR.

est son premier péché, et les petits enfants d’Auguste Bartholdi, s’il en a, retrouveront dans cette sculpture l’ivresse à la fois innocente et capiteuse qui distingue le premier péché de tous les autres.

Hélas ! il ne s’agit plus aujourd’hui ni du passé ni même de l’avenir, qui pourra réparer bien des choses, mais du présent lugubre qui attriste tout, sans excepter le paysage. J’ai pris seul, sans amis, le chemin de fer à Strasbourg. Le marchand de journaux, sur le quai de la gare, m’a offert toutes les feuilles de Berlin, depuis la Gazette de la croix jusqu’au Kladderadatsch, ce charivari lourd et brutal comme le pied d’un cheval mecklembourgeois posé à plat sur les verres de Venise dans l’étalage féerique d’un Salviati. Sur notre droite, à l’horizon, j’ai revu les chers profils des Vosges alsaciennes ; j’ai salué de loin les vieux châteaux en ruines que les Français ne visitent pas cet automne, car le temps des joyeuses promenades est passé. Parmi les voyageurs qui font route avec moi, je n’ai reconnu personne et personne ne m’a reconnu. Les noms mêmes des stations m’étonnent par leur apparence exotique et rébarbative. À Shlestadt, qui s’appelle Schlettstadt, l’ennui de ma solitude m’a pris : vous savez qu’en Allemagne, il faut être prince ou Français pour voyager dans les wagons de première classe, et nous sommes en Allemagne, paraît-il. Je suis donc monté