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COLMAR.

en leur compagnie ; elle les connaît tous intimement ; elle a lu toutes leurs lettres, qui sont conservées et rangées en bon ordre dans les archives de la famille ; elle sait les procès de celui-ci, les bâtisses de celui-là, les chagrins du gros homme en velours vert, le roman de l’habit bleu barbeau et de la robe cuisse de nymphe émue qu’un père dénaturé (en drap de soie grenat) ne voulait point marier ensemble.

Tous ces souvenirs d’un autre âge sont empreints d’un charme poignant. Pour un rien, le sourire qu’ils éveillent chez nous se tremperait de larmes. Ce n’est pas que les hommes du siècle dernier fussent sensiblement meilleurs que nous, ni même que leurs mœurs et leurs actions s’embellissent à nos yeux par une illusion d’optique. Non ; ce qui est beau, rare et touchant par-dessus tout, c’est la tradition, l’hérédité, l’esprit de suite, cette continuité de la vie après la mort, cette solidarité des générations successives, cette conservation de la propriété par la famille, et de la famille par la propriété !

Les paradoxes monstrueux qui ont failli tuer Paris en 1871 tomberaient à plat sur le seuil de cet honnête et respectable logis comme des ballons dégonflés. Le bon sens français peut se consoler des folies et des crimes qui l’outragent, en pensant que de telles maisons ne sont pas rares