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ALSACE.

et rira-t-on jamais en Alsace comme nous y avons ri ?

Les silhouettes de Colmar, entrevues à travers notre bonne humeur, nous parurent merveilleuses, et quoique le pavé pointu nous rappelât sensiblement la promenade à pied que nous avions faite le matin, nous prîmes un plaisir d’enfants à courir çà et là pendant une heure, tandis que le dîner refroidissait chez madame Bartholdi.

Quel dîner ! quelle maison ! et quel accueil à la fois noble et cordial ! Je vois encore la maîtresse du logis, debout sur le seuil, et semblable à une statue de l’hospitalité. C’était une grande femme d’environ soixante ans ; sa physionomie, voilée par un deuil inconsolable, annonçait beaucoup de courage et infiniment de bonté. On n’avait pas besoin de voir son portrait, peint en pied par Ary Scheffer, pour deviner qu’elle avait été belle ; elle l’était encore, de cette beauté des âmes d’élite que l’âge et le malheur transforment sans la flétrir. Cette mère, comme on en trouverait peu, même dans notre Alsace patriarcale, a consacré ses plus belles années à l’éducation de ses deux fils ; elle s’est soumise avec eux au labeur le plus ingrat des études classiques ; elle a appris le latin pour les aider à l’apprendre ; elle en a fait deux hommes cultivés et distingués entre tous, sans négliger le soin de leurs affaires et sans cesser d’être un seul jour l’intendant de leur fortune. De ces deux jeu-