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ALSACE.

On m’aurait, certes, bien scandalisé ce jour-là si l’on m’eût dit que notre vieux roi, le roi bonhomme, serait détrôné dans dix-huit mois, comme le plus odieux tyran de l’histoire ; mais ce qui m’eût semblé plus incroyable encore, c’est que ce prince allemand, à la figure honnête et douce, reconnaîtrait un jour l’hospitalité de Strasbourg en faisant bombarder la ville. Non, jamais mon esprit ne se serait ouvert à une si monstrueuse hypothèse, et, si quelque Cagliostro m’avait montré dans son miroir magique 565 maisons brûlées ou effondrées, 515 bourgeois de tout âge tués, 2,000 autres blessés ou mutilés chez eux ou dans la rue par les canons de ce jeune homme, que nous acclamions à l’envi, j’aurais brisé le miroir en l’appelant menteur infâme. Qui pouvait deviner la fermentation d’une haine implacable sous l’apparente cordialité de ces Badois ?

Il paraît que nous sommes leurs ennemis héréditaires, mais du diable si l’on s’en doutait alors ! et ils ne semblaient pas s’en douter plus que nous. Bien des fois, depuis cette époque, je les ai vus chez eux, je me suis assis à leur table en payant ; j’ai couché dans leurs lits d’auberge, qui sont chers et mauvais, je leur ai donné des pourboires qu’ils serraient sur leur cœur comme les souvenirs d’un ami. Quels hommes sont-ils donc pour cacher si longtemps et si bien une rancune si fé-