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ALSACE.

ses, le choix des expressions classiques, la satisfaction de prouver aux messieurs de Berlin que le culte du beau langage n’est pas mort en Alsace, en un mot, la niaiserie du pédant lui a-t-elle fait oublier qu’il traduisait des platitudes et se rendait complice d’une infamie.

La pétition ainsi faite et traduite, il restait à escamoter les signatures des habitants. Cela n’était pas malaisé dans une ville où l’allemand classique est lettre close pour quatre-vingt-dix-neuf personnes sur cent. On s’adressa d’abord au maire, qui, voyant trois pages d’écriture indéchiffrable dans une langue qu’il sait fort mal, eut plus tôt fait de signer que de lire. Je reproduis l’explication qu’il m’a donnée lui-même : « Pour comprendre la pétition, m’a-t-il dit, j’aurais eu besoin de piocher trois heures à coups de dictionnaire, et malheureusement, j’étais pressé. »

Il paraît certain que l’urgence fut pour beaucoup dans le succès de cette étrange opération. L’appariteur chargé de recueillir les signatures courait de maison en maison : « Voici la pétition, disait-il, signez vite. C’est pour le tribunal, il n’y a pas de temps à perdre ; le paquet part ce soir à quatre heures. » On avait choisi à dessein le jeudi, jour de marché, ou personne n’est de loisir. Nos Alsaciens étaient intimidés, comme le maire, par la longueur du document, par l’écriture allemande, et par leur