Page:About - Alsace, 1875.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
97
DOULEURS ET DÉFAILLANCES.

l’on aura raison de part et d’autre. Et je savais à quoi je m’exposais le jour où j’ai dit oui. Mais je ne pouvais pas (aire autrement. C’est l’histoire du plat de lentilles. Les renégats de ma catégorie sont des hommes qui ont vendu leur héritage à vil prix un jour qu’ils avaient faim.[1] »

Il parla longtemps sur ce ton, avec beaucoup de chaleur et de force, et peut-être était-il de bonne foi. Je l’ai toujours connu sincère et profondément religieux. Toutefois, les raisons qu’il déduisit à la file ne dissipérent pas complétement son malaise, ni le mien. J’estimais que les pauvres petits fonctionnaires mal payés, sans épargnes, qui ont conservé comme lui leur gagne-pain chez le vainqueur sont plus dignes de pitié que de blâme, et pourtant, quelque effort que je fisse, je ne réussis pas à le voir avec mes yeux d’autrefois, et je lui dis adieu plus froidement que je n’aurais voulu moi-même.

Je n’ai pas pu, jusqu’à présent, me procurer le compte exact des gardes et brigadiers qui consentent à servir la Prusse. On parle de vingt ou trente, mais le chiffre est sans importance, parce qu’il ne comprend que des esclaves de la nécessité. Tous ces hommes ont été bons Français jusqu’au dernier jour. Ils sont venus spontanément s’offrir

  1. Ce raisonnement est faux ; les pensions des renégats seront servies par la Prusse.