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DOULEURS ET DÉFAILLANCES.

« Les Prussiens sont venus. Un matin, on m’a demandé si, oui ou non, je voulais continuer mon service. On ne nous laissait pas le temps de la réflexion ; il fallait se résoudre au pied levé, et ceux qui disaient non étaient chassés à l’instant même. Qu’aurais-je fait ? Où serais-je allé ? Et comment nourrir tout ce monde à qui je dois le pain quotidien ? La France m’aurait employé, tôt ou tard, mais cela pouvait tardér quelque temps, car elle a moins de forêts qu’autrefois, et toutes les places sont occupées. Cinq ou six mois ne sont pas une affaire aux yeux de l’administration ; les messieurs des bureaux sont rarement pressés ; je vois beaucoup d’anciens fonctionnaires qui attendent encore le bon plaisir de Paris. Pour des malheureux comme nous, six mois de chômage, c’était la mort. Je suis donc descendu dans ma conscience, et je me suis demandé si les devoirs d’un citoyen étaient plus stricts que ceux d’un père. Seul, je me serais immolé sans regret, je n’ai pas eu le cœur de sacrifier mes enfants.

« — Mais ils seront Prussiens, vos enfants ! vous êtes un vieux soldat d’Afrique, vous avez eu l’honneur de servir sous le drapeau tricolore, et vous souffrirez que vos fils portent les armes contre la France ?

« — J’espère bien que non. Nous avons une année devant nous ; je n’ai prêté aucun serment ; le