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ALSACE.

dur à ceux qui, comme moi, jouissaient de quelque estime. Vous connaissez ma vie, puisque vous vous intéressez à moi et aux miens depuis longtemps. J’ai fait un congé dans l’armée et quelques campagnes en Afrique ; ensuite, on m’a nommé garde aux appointements de 450 francs, et c’est au bout de quinze ans que j’ai obtenu ma première augmentation. Lorsque vous êtes arrivé dans le pays, j’étais brigadier de seconde classe à 700 francs. Peu de temps avant l’invasion, j’ai gagné mon bâton de maréchal, c’est-à-dire la première classe de 800 francs. J’étais à l’aise. Jusque-là, il avait fallu des prodiges d’économie pour faire vivre une femme et sept enfants. Il m’en reste six, Dieu merci ! Ma fille aînée est morte au moment où elle commençait à se suffire. L’aîné des garçons, quoique faible et maladif, gagne à peu près son pain. Tout le reste est encore à ma charge. Grands et petits suivent l’école ou l’ont suivie assez pour recevoir une instruction moyenne : ils écrivent passablement le français et l’allemand. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner si les malheurs de la patrie m’ont surpris sans un sou vaillant : c’est mon état normal, et le plus habile homme à ma place n’aurait pas mis cinq francs de côté. Le plus qu’on puisse demander à un père aussi bien loti de famille et aussi mal payé que je l’étais, c’est de ne point faire de dettes ; or je ne dois rien à personne.