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DOULEURS ET DÉFAILLANCES.

tresse du logis cueillant notre dessert dans le jardin avec ses deux garçons et ses deux filles.

L’aimable femme que c’était ! Elle avait conservé, par je ne sais quelle grâce d’état, le sourire naïf et les candeurs effarées de la première jeunesse. Je viens de retrouver son nom presque illisible sous le lierre. On jurerait qu’il date de cent ans. Le marbre s’est jauni, craquelé, et comme ridé sur cette honnête et douce créature qui reste si jeune dans nos cœurs. Les injures du temps poursuivent donc la mort elle-même, et il y a une vieillesse des tombeaux !

En revanche, voici une épitaphe véritablement fraîche, pour ne pas dire saignante : « Gaston Berger, sous-lieutenant au 52e mort le 24 septembre, 1870, à l’âge de dix-neuf ans. Blessé à Borny. » Brave enfant ! Belle mort ! Mais la mère ?

Je n’ai pas l’imagination assez poétique pour croire que les morts sont très-sensibles aux soins des vivants, ni qu’ils souffrent de voir leurs tombes abandonnées. Quant aux vivants, c’est autre chose. Je sais combien j’aurais l’âme navrée si le destin me condamnait à laisser sous cette terre ennemie un des êtres que j’aime, un lambeau de ma chair. « Tu es encore heureux, me disais-je en sortant de là ; oui, bien heureux dans ton malheur, puisque pas un des tiens, grâce à Dieu, ne doit rester en arrière ! Il est rare qu’une