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ALSACE.

et réciproquement ; chaque ville a la prétention de valoir mieux que sa voisine, chaque classe contrôle avec un soin jaloux le patriotisme des autres. Depuis que j’étudie les Alsaciens, jamais je ne les ai connus si tendres ni si durs.

La vieille dame que j’allais voir est une de mes compatriotes de Lorraine, et la mère de mon plus ancien ami. Son fils était parti depuis longtemps, elle n’attendait plus, pour le rejoindre, à deux cents lieues du sol natal, en pays inconnu, que les moyens de transporter ses meubles. Le service de la petite vitesse est suspendu depuis plus d’un an par la force des choses ; et Dieu sait quand il sera rétabli. On ne peut rien expédier que par wagon complet ; or le courant d’émigration est si rapide, qu’il n’y a pas assez de wagons, qu’il faut les demander en France, écrire, attendre, et finalement acheter un tour de faveur en graissant la patte allemande.

« Vous allez me trouver bien sotte, me dit ma vieille amie en essuyant ses larmes. Je devrais rire et chanter, puisque je déménage demain, puisque je vais retrouver mes enfants dans un brave pays où ils ont été reçus le plus cordialement du monde, puisque j’échappe pour toujours au contact de ces Prussiens maudits. Eh bien ! non ; c’est plus fort que moi : je souffre le martyre à l’idée de commencer une autre vie, de quitter ce petit coin du