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d’hui encore elle ne croit pas que Luc ait souffert de leur rupture mais elle déplore son attitude fâcheuse envers lui et le peu de courage dont elle fit preuve.

Quand elle eut appris la maladie de Luc elle faillit devenir folle. La peur la reprenait. Non, elle ne pouvait plus devenir sa compagne et elle dissimulait mal ses affres. Déroutée, elle ne raisonnait pas. Elle était si jeune !…

Un revirement se fit chez elle. Ayant repris sa parole et sa liberté, pour étouffer ses remords, elle se mit à étudier la médecine. Avec rage, avec acharnement, elle travailla, passa avec succès des examens. Aujourd’hui, elle se spécialisait dans la lutte contre la tuberculose qu’elle ne craignait plus parce qu’elle la connaissait et qu’elle voyait ses ravages tous les jours.

Non pas qu’elle eût besoin de gagner sa pain ! elle avait suffisamment de fortune pour vivre l’existence qu’on juge belle. Mais ayant souffert, elle désertait les joies factices et les insanités journalières et tapageuses d’une vie qu’on dit de plaisir.

— Non ! vous ne pouvez pas comprendre…

Elle réprime à peine de gros sanglots et moi, sans dignité aucune, effondré, je pleure à grands hoquets, comme un gosse…

Maintenant, c’est elle qui me console. Elle s’est ressaisie. Je la retrouve l’automobiliste impassible et je lui ai avoué le désarroi déguenillé et poétique de mon passé de gueux rêveur. Luc Gorman, pardonne-moi ! mais je crois que par Jeanne de Kergar je vais aussi faire un bien joli rêve !

Nous nous sommes quittés dans un sourire et je trouve que le ciel s’éclaire. Dieu m’a mis au cœur des réserves de tendresse et d’optimisme.

Suis-je donc de ceux qui éprouveront toujours le besoin de s’emballer pour quelqu’un ou pour quelque chose ?