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— Parce qu’on peut pas faire comme eux !

Bravo Cadic ! source de lumière et de sagesse ! Voilez-vous la face, pauvres doctrines ! Riez, discoureurs de tous genres !

Et Cadic triomphait, assénait avec conviction :

— Ah ! les vaches !

… Dans le train qui me rapproche à toute vapeur de la capitale, je réprime avec peine, des transports d’allégresse. Je trépigne d’une joie enfantine. Je voudrais, comme le troupier en fugue ou le collégien en vacances, me démener, m’égosiller en chansons gaillardes, en tapant sur les fesses du voisin, des claques formidables. Tout rit, les poteaux au long de la voie, le soleil, le ciel bleu, le convoi sur les rails. Comme le condamné qui s’évade de sa geôle je me saoule de liberté. Mais n’étais-je donc point libre auparavant ? Je ne mesure point mon inconscience grotesque et de tout mon être avide, j’appelle l’Inconnu. Et c’est cet Inconnu attrayant et terrible que je vais chercher dans la ville tentaculaire où les plus forts trébuchent… Un puceron défiait le ciel !

Depuis Morlaix, je voyage avec deux jeunes filles, manifestement des ouvrières ; j’ai cru comprendre des modistes. L’une est blonde et charnue. L’autre brune et délicate. Toutes les deux sont jolies et rieuses. Elles babillent sans cesse et, de temps à autre, croquent du chocolat et fument des cigarettes à bout doré. Pour le dernier jour de sortie ! on peut bien s’émanciper car lundi on reprend la vie d’atelier ! À l’aise dans la camaraderie bonasse du démocratique « 3e classe » elles m’ont offert des cigarettes que je fume avec plaisir bien que j’aie le tabac en horreur. Elles s’amusent de tout et de rien. Puis, entre deux refrains, elles se chuchotent de petits secrets que je saisis au vol, avec indiscrétion.

— Alors, il viendra t’attendre à la gare, ce soir ?