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des vues spéciales sur les problèmes généraux. La logique éclatante due aux phénomènes vitaux a des sens inverses, opposés qui déroutent l’esprit, quoique la morale puisse se résumer en quelques règles inviolables, immuables…

Les grands problèmes se posent clairement au cerveau des frustes et Cadic, le paysan matois de Bannalec, résolvait les questions d’une façon tranchante. Pour lui, l’humanité se divisant en deux parties bien distinctes et pour cause ! : les morts qui ne mangent plus et les vivants qui mangent encore. Les premiers n’ayant aucun besoin, nul appétit, ne sont plus intéressants. Paix à leurs cendres ! Réservons toute notre attention aux vivants. C’est cruel, mais c’est humain.

Cadic oubliait d’ajouter qu’il croyait à îa survie spirituelle des défunts !… La société pour lui, avait deux clans férocement opposés : ceux qui ont quelque chose et ceux qui n’ont rien. Ceux qui ont quelque chose veulent le garder. Ceux qui n’ont rien, veulent quelque chose. Voilà, nettement établies, je le suppose, l’équation vitale et les raisons de l’antagonisme social. Lorsqu’on parlait des riches, des puissants, des heureux, de tous ceux-là qui avaient la vie belle, Cadic s’écriait avec une secrète envie :

— Ah ! les vaches !

— Pourquoi les vaches ? Cadic resta songeur. Il remuait des idées pénibles et contradictoires, jonglait avec des conclusions et des hypothèses, sabrait des axiomes. En quelques minutes il avait bouleversé tout le cycle des connaissances humaines, détruit les religions et les conventions.

— Parce qu’on peut pas faire comme eux !

Et voilà la vérité ! Dans la phrase cynique les mots claquent, empreints de l’éternelle aspiration des foules vers quelque chose de mieux et qui porte les individualités en avant, à la recherche du meilleur.