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Je crois que l’espoir, là-bas, me fera renaître. C’est fou, mais je déteste les gens trop sages, incapables d’aimer et de haïr. J’ai le sentiment obscur que tout changera dans ma vie, que je ferai peau neuve. Le bon sens et la logique me ressassent bien des conseils judicieux que je n’écoute pas avec une mauvaise foi évidente, qui a argument à tout. Et, s’il n’'est pas de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre il n’y a pas non plus de gens si peu influençables que les convaincus. J’obéirai à la voix (oh ! elle ne vient pas du ciel, celle-là !) qui me guide vers d’autres horizons. La raison pourra s’évertuer : je dirai qu’elle déraisonne et puis voilà ! Notre psychologie est simple, et ses raisonnements limpides : je suis maître de moi, je dispose de ma personne à condition de ne point rencontrer la tentation. Cette condition unique et nécessaire nous concilierait cet esprit anti-passionnel qui fait les saints et les apôtres de mauvaise souche, sains d’esprit et sains de corps, allant malgré eux à la vertueuse canonisation de la morale, religion des « sans religion », parce que la nécessité ou plutôt l’obligation d’être chastes les a éloignés « du vice et des débordements » ou tout simplement de l’amour. Il y a beaucoup de saints et peu de saints personnages.

Cela me rappelle une discussion que nous eûmes, un jour, au sanatorium, sur le mode spiritualiste. Un camarade prétendant que les grands courants d’idées ou d’opinions qui, alternativement ou simultanément, régissent le monde, résultent plutôt de réactions et de phénomènes physiques, d’événements physiologiques d’ordre général, que des conséquences philosophiques des lois morales. Autrement dit, l’esprit naissant de la matière fait que la nature engendre la morale. Ce n’était pas nouveau. Mais le raisonnement était curieux, en ce sens, qu’il dénotait chez des malades une sûre observation psychique, au lieu d’une pénétration psychologique déviée par la maladie et