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— Écoute, mon petit ! Ne t’étonne pas de ce que j’ai pu te dire ni de ce que je vais te dire. Pendant cinq ans, machinalement, je me suis soigné inutilement. Je ne veux plus entrer dans de nouvelles épreuves, recommencer un régime de restrictions oiseuses. Je n’ai plus aucun espoir, aucune ambition. De la vie (de la bonne vie, agréable et facile, s’entend !) je connais à peu près tout ce qu’on est en droit et en mesure de connaître. J’ai eu d’elle, tout ce qu’elle pouvait me donner en plaisirs fallacieux, en mornes jouissances. J’ai étreint de beaux corps, bu à de belles lèvres. C’est un jeu dont on se blase… Je n’ai donc pas de regrets, même pas d’amertume. Je n’ai point de reproches à recevoir de qui que ce soit. Je ne récrimine contre personne. Ni fleurs, ni couronnes. Ni baisers, ni larmes. À quoi bon traîner ici-bas une âme sans idéal, un corps sans âme, un cœur sans amour. L’existence pour moi ne serait ni heureuse ni cruelle, vide simplement. Les ailes ne vibrent plus. Pas d’essor possible… J’ai décidé de mourir. Ne tressaute pas ! Comme tu es pâle. Ressaisis-toi !

Mes mains tremblent dans les belles mains froides. Dans ma tête bouleversée, des idées frénétiques dansent la farandole.

— Taisez-vous !

— Fanfan, tu sais que je suis riche, sans disposer encore de ma fortune. Sans fausse honte, à bas ton amour-propre inconsidéré, si vraiment tu ne manques de rien, si tu as toutes les chances de lutter favorablement ?…

L’amitié va jusqu’au portefeuille, mais généralement sans l’ouvrir. Luc a toujours le sien en main. Mais je lui ai caché les vicissitudes de mon humble sort et la misère ricanant au long des jours de détresse.

— Mon Luc, je vous remercie. Je n’ai besoin de rien. Je vous jure…

Lui, ce beau Parisien du grand monde à coup sûr, n’a