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Luc prétend n’avoir pas de souvenirs et par conséquent pas de regrets ! Jusqu’à sa maladie, il n’a jamais souffert. Il prétend ne point souffrir encore.

— Dans ma famille, dit-il, il n’y eut pas de tuberculeux. Guère d’alcooliques, aucun dégénéré. Absence de héros mais aussi absence de fous. J’ai toujours été très fort, excellent sportman, bon mangeur. J’ai toujours joui du confort le plus moderne. J’avais le nécessaire et surtout le superflu. Il ne me souvient pas d’avoir fait des excès d’aucune sorte. J’ai usé d’une large vie, sans en abuser. Alors, je me demande où et comment, j’ai contracté la tuberculose. Oui, je me le demande…

Rêveur, il s’efforce de résoudre ce problème difficile, d’élucider le mystère d’une pathologie incompréhensible. Étendu sur sa chaise longue, devant la large fenêtre ouverte, on ne lui donnerait guère plus de vingt ans. Dans le mal, il est resté d’une beauté sereine, un peu pâle cependant. Il a gardé la ligne pure et ses formes admirables de jeune dieu. Seul, un pli discret des lèvres trahit la fatigue du corps désabusé. Ses épais cheveux blonds frémissent d’un souffle indicible et un rayon de soleil joue dans leur masse soyeuse.

Luc reprend de sa voix un peu dolente :

— Vous savez, Rosmor, ici-bas tout est réellement relatif et, contre la nociveté de notre mal, je ne crois pas qu’il y ait jamais de remèdes efficaces. Mon pessimisme est repréhensible certes ! et je voudrais que l’avenir le démente ! Vous voyez, moi je me soigne impeccablement depuis cinq ans, sans écart de conduite ou d’attention, sans défaillances. Aujourd’hui il y a dans mes deux poumons une recrudescence d’évolution qui ne devrait pas être ! Tandis que d’autres, vous par exemple, se rient des médecins et de la médecine…

Je ne lui ai pas dit le terrible retour de ma maladie, et