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N’abîme pas tes jours, dans ce lieu maudit où couve la mort, où languissent les corps et où se désespèrent les âmes. Petit oiseau né pour l’azur, quitte ce sana terrible aux menaces sournoises toi qui, faite pour vibrer, viens t’enterrer ici. Ne te plie pas au joug des abnégations stériles, des dévouements inutiles, des sacrifices trop prompts…

Laisse-nous à notre triste sort et que tes sœurs, à ta suite, s’envolent. Nous n’avons pas le droit de vous retenir, de vous accaparer, de jouir de votre fraîcheur, nous, les tarés, les dangereux dont l’humanité souffre et dont les races se meurent… Fuyez cet air empesté, l’ambiance morbide des poitrinaires… Fuyez avec une sainte horreur les dangers que nous représentons, par nos pauvres corps déchus et vindicatifs. Laissez-nous face à Elle dont le rire implacable nous pourchasse. À quoi bon l’ample geste de la pitié ? la main secourable des consolations et le sourire faux des encouragements fallacieux ?…

Tu dis que je mens ! Mais bien sûr je mens !…

Margot, il ne faut pas pleurer. Pardonne-moi car je t’aime… Je suis un égoïste. Demain je serai parti. Tu m’écriras. Et moi, de tout mon cœur avide de poésie et de cette ivresse qu’il n’aura plus, je te dirai des choses gaies. Je tâcherai de te faire rire, petite Margot qui pleure sur mon visage et dont les larmes lourdes de pitié, roulent silencieusement, merveilleuses oboles…

… Margot, ne pleure pas. Je ne veux pas que tu pleures. Écoute, je voudrais que le docteur survienne et qu’il te chasse avec moi. « Oui, docteur, elle est mienne cette jolie fille. Rendez-la à la vie. Rendez-la à l’amour. Chassez-la comme une gueuse. Elle est ma maîtresse et je ne suis pas son amant !… » Pourquoi sacrifies-tu, aux déshérités, ton corps de déesse et l’éclatant printemps de ta vie ? On ne rachète pas le monde, va !… Ah, Margot ! que tu t’en ailles loin ! Aime, Margot, aime ! Fais-toi aimer aussi.