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Mille insectes égarés bourdonnent dans le pavillon et viennent s’écraser contre le mur blanc. Le « Mene » là-bas à l’horizon, danse dans la lumière crue qui avive le rose des bruyères. Dans les chênes barbouillés de lierre dont les branches en guirlandes descendent presque sur la balustrade, une tourterelle romance. La cloche de trois heures vient d’appeler au thé. Je suis resté seul, dans la blancheur écœurante d’une salle trop claire, trop lumineuse.

— Tiens, te voilà, Margot !… Approche donc ici mon petit, mon amour de jolie infirmière. Mets-toi là, sur ton lit, ce lit qui n’est à personne et sans parfum puisque personne n’y couche… Viens, plus près ! ce sera pour la dernière fois. Demain, je m’en vais. Le grand voyage, ma belle ! Ah ! vivre… mon petit, mon tout petit. Laisse ma main caresser ta divine jambe. J’aime l’odeur de tes aisselles, odeur des chairs… Ne te débats pas. Ça n’a aucune importance, va ! Ne crains rien, nous sommes seuls, si l’on peut être seul à deux ! Margot, dis-moi que tu ne garderas pas un trop mauvais souvenir du garnement que je suis ! Que tu n’oublieras jamais ton fougueux camarade, hein ? Mais oui, répète-le-moi encore, j’ai besoin de l’entendre. Ça me réconforte, tu sais ! Margot, Margot ma jolie ! Sens comme mon cœur bat. Un jour prochain il aura cessé de battre… Non ! laisse ma main savourer toute la grâce de ton corps sain, la beauté éperdue de tes formes de déesse… Allons, ne gronde pas. Puisque ça n’a plus aucune importance !…

… Ah ! Margot, que la vie est belle ! Regarde comme tout clame, comme tout chante. Et je vais la perdre, mon petit. Margot, Margot, ma gentille amie, vis ! Use et abuse de ta santé juvénile, de toutes tes forces, de tout ton être. Courte, soit ! mais bonne… Vois-tu, il faut rire, sauter, courir, aimer, s’ébattre dans l’insouciance et la folie des jeunesses fortes ! Ne laisse pas mourir tes vingt ans ! Va-t-en ! Quitte au plus vite, cet antre de malheur et de souffrances !