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À l’entour des chaises longues


Bientôt, demain peut-être, je m’en irai de ce sanatorium où je languis depuis un an. Oui, je m’en irai. L’air m’étouffe ici. J’y flaire des odeurs de cadavre.

En entrant dans ce dortoir au sanatorium de Cozbourg, je n’avais qu’un poumon malade. Maintenant, j’en ai deux. Je l’ai compris aux réticences des docteurs, à leurs petits airs entendus lorsqu’ils m’auscultent, à leur charabia technique dans l’obscurité complète de la salle de radio. Chaque soir, une rougeur inexplicable me brûle l’oreille gauche. Inexplicable ? Oh ! non, si j’avais le courage d’approfondir le symptôme car je sais bien que mon poumon gauche, sain ou presque jusqu’ici, prend aussi. Alors, il va falloir décamper ! Il est de notoriété publique qu’au sanatorium de Cozbourg on ne meurt pas. Si l’on n’y guérit pas, on doit, pour le moins, y améliorer son cas. Au sanatorium de Cozbourg, on ne doit pas mourir. On y apprend à mourir proprement, sans bruit et sans pleurs. Presque l’école stoïcienne. C’est déjà quelque chose. Dans la méditation des longues heures de cure, s’enseigne la résignation et la soumission presque absolues aux lois inéluctables du destin.

… Sur la montagne que pavoisent les bruyères roses, dans les taillis rutilants, juin s’étire sous la caresse du soleil…

Un ordre préfectoral est venu. De la révolte a passé, soulevant sur les chaises longues des colères terribles contre les médecins, contre les infirmières, contre tout le personnel, contre le ciel et la terre… Il y a eu des muti-