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un garçon déluré, énergique et sportif, m’a relancé. Nous avons toujours sympathisé. Il est venu s’enquérir des résultats de mon expédition. Il m’a trimballé dans sa voiture. J’ai voulu le payer. Froissé, il s’est rebiffé, a refusé en disant qu’il fallait sauver la jeunesse et s’unir pour la dérober à la mort. Il m’a ému. Ensemble, nous avons bu le verre traditionnel offert aux santés réciproques, puis, sur une vigoureuse poignée de main il est parti. Mélancolique, je l’ai vu s’éloigner de son grand pas souple et disparaître au tournant sous la pluie cinglante.

Dans la salle à manger que l’électricité écœure de sa lumière trop crue, les pensionnaires, avec entrain, s’installent autour de la table hospitalière. Chacun prend possession de sa chaise et de ses petites habitudes. Moi, je reste indécis, debout sous le regard inquisiteur des convives.

— Tenez, mettez-vous là ! a décrété la bonne.

Je me suis placé entre des ouvriers, face à des jeunes filles, curieuses et rieuses. Quel supplice ! Je mange du potage, par cuillerées hasardeuses, gauchement, sous l’œil attentif, peut-être hostile de ces gens. Alors, brusquement, je me suis levé, je me suis enfui, les laissant tout interloqués…

À Catherine, la fille de la tenancière, et à son mari, j’ai dévoilé mon cœur et ma peine, entre deux gros sanglots. Mme  Bellec compatissante est survenue. Simplement, maternellement, elle m’a consolé, m’a réconforté, daubant sur la médecine et les thérapeutes stupides. Avec une reconnaissance infinie, j’ai senti que ce soir, guidé par la pitié et la fraternité des humbles, j’entrais dans une nouvelle famille…

Maintenant, au restaurant Bellec, je suis l’enfant gâté. Tout le monde me choie, me conseille, m’affectionne et je n’ai pas trop de toute ma tendresse si longtemps comprimée pour leur en savoir gré.

La table d’hôte me comble.