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Ris-donc, Fanfan !


Le 21 mars 1924 (ces dates-là sont gravées dans ma mémoire) je débarquais sans allégresse sur la place d’Huelgoat, dans le charivari des étalages, le beuglement des vaches et les appels cocasses des autos. Une pluie froide qui glaçait jusqu’aux moelles tombait d’un ciel tellement bas qu’il semblait toucher les maisons.

Ma détresse se marie à la laideur des choses.

Demain le docteur Darsel me fera ma première piqûre. Il me faudra séjourner un mois à Huelgoat, pour faciliter le traitement et je vais à la recherche d’une chambre et d’un hôtel. Ce n’est pas ce qui manque, mais je veux de l’approprié. Dans l’énervement de la foule, je ne sens pas ma fatigue. J’ai serré de nombreuses mains, rencontré de multiples connaissances. J’ai croisé un parent qui m’a indiqué le restaurant Bellec. Nous y sommes allés de concert. En buvant un café noir, brûlant et fort, j’ai expliqué timidement mon cas à la patronne et à sa fille. L’une et l’autre sont aimables. Elles m’ont plu et j’ai été adopté d’emblée. Dans un coin, j’ai remisé ma valise et ce soir, je coucherai à Huelgoat où tant de malheureux viennent chercher une santé perdue et l’espoir d’un soulagement ou d’une amélioration possible.

Isolé dans le brouhaha, je savoure ma nostalgie, indifférent aux regards qui scrutent mon visage aux traits tirés et qui compatissait à la morne résignation de mes yeux grand ouverts. Au soir, le chauffeur attitré de mon village,