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« début ». Mais je ne suis pas dupe. Ça fait mieux, concluai-je sarcastique.

Je relis la lettre accusatrice et je me sens redevenu calme, d’un calme effrayant. Il me semble que j’ai subitement vieilli. Froidement, je replace le papier froissé dans l’enveloppe déchirée.

— Pourquoi, maman, ne m’as-tu pas dit carrément toute la vérité ? fis-je amer. Une ombre au sommet du poumon droit, la belle affaire !

Elle se tait. Je lis la torture sur sa franche figure de paysanne et la douleur muette qui ne veut pas jaillir en larmes de ses yeux bleus aimants.

— Maman ! maman !

Et c’est moi qui me ressaisis en m’armant pour la lutte. L’école de la douleur. Je devine mon énergie qui se retrempe et la rancune coléreuse qui me dresse pour le combat.

— N’aie pas peur, maman. Un homme averti en vaut deux. Je me soignerai bien. Je ne suis pas encore mort, va !

Le sang actif que m’ont transmis des lignées de solides montagnards réagit. L’enfant disparaît. Un homme va surgir qui trempera dans la souffrance et chaque ride ténue qui s’ajoute à son front vieillissant dit l’effort continuel, surhumain, pour résister. Rassénéré, je hume dans l’air vif, des parfums violents de batailles angoissantes d’où je sortirai, j’en suis sûr, parce que je crois !… Et puis, après tout, on ne meurt pas si vite de tuberculose !

Je citai des noms, des phtisiques invétérés, accrochés pantelants à la vie, narguant le sort, d’autres victorieux du mal, guéris… Ce qui était certain, c’est que l’échéance fatale m’apparaissait lointaine, reculée. Inconsciemment, mon insouciance et ma légèreté reprenaient le dessus. Ce n’est que longtemps après qu’on mesure de telles choses !

Mais il faut manger pour vivre, et trimer pour manger. Si j’avais été riche, bien sûr, me disais-je, je me serais