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sensibilité extrême. On me croit déprimé par l’école, fatigué par une croissance rapide mais on ne me juge pas bien malade. Les appréciations de mes visiteurs sont rassurantes. Des amis d’enfance, rivés à la glèbe qui leur insuffle force et santé, viennent souvent faire la causette. Je détaille leur vigueur tranquille, avec une secrète envie.

Je suis loin d’aller vers la guérison, mais la surexcitation nerveuse, l’auto-suggestion m’entretiennent gaîment dans l’insouciance et les bavardages. On ne meurt pas, à mon âge, voyons !… La jeunesse est une merveilleuse source de vie. Elle a des réserves de forces indicibles, un ressort invisible et magique qui remonte les organismes fatigués et qui ranime une flamme qu’on croyait éteinte…

Mais, les jours coulent, ternes et peu à peu l’angoisse m’étreint. J’ai des quintes interminables que je m’étrangle à juguler et qui me font honte devant les voisins. Je vomis souvent. Alors, des tremblements inexplicables, des réflexes inattendus me crispent soudain.

La nuit, j’ai des cauchemars terribles. Tous les racontars, toutes les histoires abracadabrantes de revenants me travaillent l’esprit. Mon cœur se dérègle. Mon cerveau crie à la folie. Parfois, je me réveille, hurlant, transi d’un froid mortel, trempé de sueur.

— Maman, je vais devenir fou ! Maman !

Vraiment, j’ai cru le devenir. Et ma mère attentive à mon chevet me disputait âprement à la maladie. Dans mes rêves, j’avais aux oreilles le tintement disgracieux des cloches fêlées du Collège. Maintenant que j’ai quitté cette boîte, elle ne me lâche plus ! Son souvenir me hante, m’exaspère. Malédiction ! oh ! ma pauvre tête qui éclate !

Fox, mon compagnon de chasse qui a flairé ma rentrée, vient de sa patte rugueuse râper la porte moisie. Puis il aboie à la nuit, à la lune, à la Mort aussi sans doute… Il hurle à la Mort et c’est moi qui vais mourir. J’en suis sûr.