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et, en dessous, en caractères plus modestes, sans au juste savoir pourquoi : Remember ! Rappelle-toi ! Remember, mot historique, mystérieux, mélancolique aussi, plein de défaite et d’abandon. Alors, satisfait de mon œuvre, je soupirai… Il y a dans tout soupir du rêve qui déteint !…

Le docteur est revenu. Il m’a ausculté longuement. Puis, soucieux, il a baissé la tête.

— Eh bien ? a demandé l’infirmière.

— Il y a quelque chose…

— Il y a quelque chose…

Ils se dirent quelques mots à voix basse. Et je vis, qu’en effet, il y avait quelque chose.

— Tu as les poumons fatigués, reprit le médecin en venant sur moi. Il faudra passer aux rayons X. J’envoie un mot à mon confrère du dispensaire qui te visitera. Tu comprends, il vaut mieux consulter un spécialiste. Puis, il faudrait retourner chez toi, te soigner sérieusement. Tu comprends ?

Je ne comprenais pas du tout. Non, je ne compris qu’une chose, c’est que j’allais quitter cette affreuse boîte, ce Collège qui avait bu toute la sève et la saveur de mon adolescence, années sacrifiées à l’ennui, aux préjugés, aux stupides lois de la vie moderne, aux rhéteurs incolores prêcheurs de vertu et d’austérité. Quoi ? Prêcher la vertu, l’austérité ! alors qu’on est jeune, bouillant, que le soleil rit aux cieux, que les fleurs se pâment dans les vigueurs de l’été et que l’amour est frais éclos sur les lèvres des fraîches filles de chez nous ! Pauvres fous ! Pauvre de nous.

Mais d’où me venait cette inconscience momentanée qui me laissait veule, ignare, devant le terrible diagnostic, pourtant si nettement formulé ? Sans doute de ma lassitude morale. En tout cas je restais indifférent devant la menace.