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possible. Après quoi, on verrait peut-être à verser quelques larmes judicieuses et justificatives d’un désespoir sincère.

Mac’harit était curieuse par nature, autant que charitable.

— Mais comment l’avez-vous tué, tad ? s’enquit-elle.

— J’ai voulu lui écraser les poux avec mon pen-baz, déclara-t-il, spirituellement hypocrite. Et son crâne était tellement fragile, fragile comme du verre, que sa cervelle d’écervelé a voulu voir le soleil.

— Vous mangez trop de bouillie d’avoine, conclut Mac’harit sévèrement. Il faudrait vous rationner.

— J’en ai peur, se lamenta le gai personnage dont la bosse se trémoussa.

— Et moi, s’exclama la jolie veuve, qu’est-ce que je vais devenir ? Que vais-je devenir si je ne trouve un autre homme ?…

Là-dessus, le pen-baz se leva menaçant.

— Assez d’hommes comme cela, trancha le borgne et tu me feras le plaisir de ne plus en parler.

Ce disant, il partit sautillant sur sa jambe torte.

Un jour, ou plutôt une nuit, Satan reprit sa progéniture, car nous nous refusons à croire que cet être démoniaque eût une âme. Dans la montagne, les mauvais esprits en liesse accoururent à jambes ribaudaines vers le paysan qui, de son vivant, sentait déjà le roussi et le brûlé.

Mac’harit, elle aussi, avait une fille unique, une gente et doulce mignonne qui semblait, en dépit de toute hérédité, l’ange du ciel en personne. Ah ! la charmante créature du bon Dieu ! Elle avait un cœur sensible, de jolis yeux bleus et des cheveux blonds. Les pauvres et les voyageurs égarés ne frappaient point en vain à sa porte de chêne et sa blanche main s’ouvrait large, en bénédictions quotidiennes, pour les déshérités de la vie. Naïk ! radieuse enfant de la montagne dont l’haleine avait la senteur prenante des