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Iann s’arrêta donc autant par devoir que par besoin à l’hostellerie de la Caserne, sise en Plounéour-Ménez. Je gage fort qu’aucun bidet du pays des pillawers et des « baleërien bro » ne passait alors d’une traite la vénérable hostellerie de la Caserne. Et même ces malicieux petits chevaux arréiens, d’instinct, sacrifiaient à l’auberge et leur trot nerveux et amble s’arrêtait souvent de lui-même au signe d’amitié que faisait aux passants l’enseigne de verdure balancée au-dessus des portes étroites par la bise aigrelette, en gracieuse invite de la bienvenue. C’est vous dire que la Caserne, repaire des « troc’her moc’h » et autres compères de joyeuse mémoire, était une chapelle qui, en aucune saison ne manquait point de fidèles et que, chaque jour dispensé par le bon Dieu sur l’échine sombre de l’Arré, donnait à ce sanctuaire particulier et original l’aubade du soleil, l’ambiance des jours de fête éternelle.

C’était l’avant-veille de Noël et Iann en l’honneur de cet heureux temps, célébra à sa façon l’anniversaire de l’événement qui souleva le monde dans un magnifique élan d’espérance et de foi. Pour se réjouir, il faut boire et il faut aussi boire pour se réjouir. Le « baléer bro » absorba quelques petits verres de fort et comme ce satané liquide collait désespérément à son gosier, il doubla la dose pour aider le « gwin ardant » à descendre… Il neigeait depuis le matin, mais Iann n’en avait cure. Il se souciait aussi fort peu de la nuit qui venait, des sentiers tortueux et abrupts de l’Arré, des brigands qui chaque soir y rôdaient, des loups dont les yeux diaboliques luisaient dans l’ombre comme des charbons ardents. Iann, le grand Iann, Iann Vraz de Kerbarguen, ayant trente écus dans sa ceinture de cuir et un litre d’eau-de-vie dans la panse ne craignait ni les vivants ni les morts. Au surplus, dois-je ajouter, il aurait défié le ciel menaçant de choir sur sa tête. Allons