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LE « PELGENT »[1] DE IANN VRAZ


Iann, le grand Iann, Iann Vraz de Kerbarguen, revenait en droite ligne de Landreger. À travers bois et taillis, il avait gagné Plounéour-Menez d’un pied allègre, pen-baz en main, sac sur l’épaule et trente beaux écus amoureusement serrés dans la large ceinture de son bragou-braz. Il avait fait bonne tournée, au pays des « parleurs doux » (Kozeerien flour), ramassant du crin et réparant des tamis. Alors il retournait à sa résidence d’hiver, par delà les monts d’Arré, là-bas, dans le creux des marais, un petit et discret village blotti contre le Roz, à l’abri des vents et des rôdeurs et dont les toitures rousses de gui couvaient du bonheur. Trente écus, Salver binniget ! pensez donc, ce que cette somme représentait de bien-être, de confort, de vie assurée ! Ah ! l’hiver pouvait sévir, mordre et hurler, Iann, le grand Iann, Iann Vraz de Kerbarguen et sa respectable famille ne manqueraient ni de froment ni de blé noir. Les épices et la résine ne feraient point défaut et le lard savoureux, tous les jours, fumerait dans l’unique assiette bleue.

Mgr Graveran disait que le peuple breton serait le premier peuple de l’univers s’il pouvait passer sans s’arrêter devant le gui et les bouquets de lierre des auberges. Iann, lui aussi, était bien trop respectueux des traditions et trop peu soucieux de relever le prestige de sa race pour enfreindre ce précepte quasi sacré que le Malin inscrivit en une langue pathétique dans la couleur dorée de l’eau-de-feu.

  1. Ancien nom de la Nuit de Noël (G dur.).