Page:Abgrall - Et moi aussi j ai eu vingt ans.djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cri terrible, s’élança dans l’eau que soulevait bouillonnante une tempête invisible. Un bruit formidable éclata comme si tous les tonnerres de Brest et d’ailleurs, donnaient ensemble un concert. Des éclairs multiples embrasaient les marais.

Yann ne voyait plus rien ; il se tassait éperdument contre la terre humide. Une odeur de brûlé lui chatouillait désagréablement les narines et, à cela, il jugeait Satan tout proche. Il lui semblait que les bruyères et les genêts, voisinant autour de lui avec des saules neurasthétiques, étaient brutalement arrachés et lui cinglaient les épaules de leur maire échine. Quelque chose de tiède, du sang, lui coulait sur le cou, d’une entaille qu’il s’était faite dans sa chute. Mais il n’y prenait garde et attendait la mort.

L’orage cessa tout à coup. Après une bonne minute d’attente, craignant une surprise, Yann se releva. Tout s’était tu comme par enchantement. Hagard, il regardait Len-ar-Youdic de tous ses yeux. Quelques rides ondulaient encore l’eau trouble, d’où montaient d’énormes bulles d’air avec des glouglous prolongés, semblables à des soupirs. Contre des saules, une touffe de poils roux annonçait que là, pour une éternité, s’était englouti le chien jaune ! À moitié fou, le sacristain s’enfuit loin de ces lieux maudits. Il rentra chez lui souillé de boue, sanglant, noir de tourbe, hurlant des mots sans suite et, le dimanche d’après, un énorme cierge brûlait à Saint-Herbot !

Voilà, telle qu’on la raconte chez nous, l’histoire de Yann Jézéquel, qui eut l’insigne honneur d’assister à l’engloutissement d’une conscience dans le sinistre réservoir d’âmes de Len-ar-Youdic.