brume, qui estompent d’un léger et subtil manteau de grisaille les tons restés audacieux des garennes et des landes. Et, quand tôt les ténèbres viennent sur la plaine uniforme et interminable, quand dans l’Arrez les oiseaux de nuit commencent leurs rauques mélopées, que l’orfraie passe en grinçant avec des cris déchirants, sinistre message de mort, redouté « Karrigel an Ankou », il monte des tourbières et des mares glauques un malaise inexprimable qui prend à la gorge comme l’odeur acre et sulfureuse de la tourbe qui brûle. Cette terre d’Au-delà, de surnaturel et de légendes, exhale alors un concert d’imprécations, de lamentations et de plaintes ; un concert qui s’enfle, assourdit, puis s’apaise et meurt avec la bourrasque qui fuit, chargée de chimères et de superstitions.
Dans les sentiers du Vennec, aux abords de Lenn-ar-Youdic, courent des hordes de damnés qui, hurlant la peur, attendent les supplices et les châtiments éternels. On devine, au frôlement inquiétant des roseaux, leur marche légère à travers les mares et leur course éperdue dans les voies charretières aux approches du matin blafard…
Mais en été, lorsque le soleil verse sur le Yun des gerbes aveuglantes de lumière crue, cette armée de revenants fuit au plus vite. Les landes se peuplent d’esprits plus bonassées ; les lutins malicieux, le « Kornandon » vindicatif, et le « Bugel noz » farceur au large chapeau. Les sortilèges et les conjurations s’évanouissent à la chaleur bienfaisante des beaux jours. Les marais se parent de mille couleurs. Les joncs agitent leurs panaches de ouate blanche sur lesquels une brise caressante folâtre. Les genêts et les ajoncs mettent des taches d’or dans le rose des bruyères. Au meuglement des troupeaux, les courlis répondent par leur chant guttural, tandis que sur les gazons couverts d’anémones et de marguerites, bourdonnent des milliers