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lage, et ce sera son tour de donner un peu de bonheur à sa mam-goz et à la mère courageuse qui travaille pour eux à Paris.

À mesure qu’il me livrait ses secrets, s’animant avec le récit, il marchait plus péniblement, l’haleine coupée. Bientôt, nous fûmes à la fin du cortège, avec les vieilles en noir et les anciens à grands chapeaux.

Je remanie mon dernier essai, m’expliquait-il encore. Je veux l’appeler : Moi aussi, j’ai eu vingt ans…

Ce titre sur d’autres lèvres, aurait souri ; je lui trouvai, dans sa bouche, une résonnance funèbre. On eût dit une plainte, un avertissement. À la dérobée, j’observai Fanch Abgrall. Sa gorge sifflait. Je lui touchai la main et la sentis brûlante. Était-il si malade ?

Oui. Perdu, m’apprit quelques instants plus tard le docteur qui le soignait. Les deux poumons. On ne peut plus rien…

Ce mourant de vingt ans s’était perché sur une table de l’auberge, et de toute son âme, passionnément, il lançait le refrain qu’on reprenait en chœur :

« O Breiz, ma bro ! »

Cela me faisait mal d’entendre sa voix brisée. Il mettait sa vie dans cet hymne.

« Ô Bretagne, mon pays ! »

Le peu de sang qui lui restait enflammait ses pommettes et, pressant les deux poings sur sa poitrine déchirée, il clamait, ivre de jeunesse, l’amour de cette patrie qu’il brûlait de servir. Comme elle battait des ailes, la petite Alouette de l’Arré !

Le lendemain, j’ai parcouru le pays de son enfance, des pentes désolées de la montagne aux tourbières de Yeun Elez, et les combes hantées, les marais, les genêtières, m’ont paru plus tragiques encore, au souvenir du chantre de Botmeur. L’horizon avait la profondeur inquiète de son regard. On