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PARMI LES ÂMES ET LES BRUYÈRES


Au rude flanc de l’Arrez, au sein palpitant d’une tendre mousse, l’Elez, avec un bruit de soupir, prend sa source. Un instant indécise, elle muse à travers les ajoncs au parfum violent, caresse les massifs de bruyères aux dômes écarlates ou roses et se laisse glisser avec un gloussement de surprise et d’inquiétude vers la plaine et l’aventure. Là, tout près, au pied de l’immuable et colossal Saint-Michel, gardien paisible dans sa sérénité millénaire, rêvent quelques modestes pins, là où autrefois frémissaient d’énormes chênes qui, aujourd’hui, vaincus, dorment sous les marais leur dernier sommeil. La vieille chapelle s’emplit toute de ce murmure et la fontaine où les pèlerins, jadis, faisaient leurs ablutions, clapote et pleure sur les prairies voisines des larmes discrètes et glaciales. C’est ici, qu’au clair de lune, dans l’eau limpide et froide, que les « kannerez noz » venaient laver un linge toujours souillé. Mais, depuis beau temps, on cherche en vain dans le vent l’écho de leurs accents pathétiques et l’on ne perçoit rien que la plainte immense du Yun, las de son passé et de sa terrible renommée.

En hiver, par les jours décolorés, d’une monotonie désespérante, il n’y a rien de plus triste, de plus poignant que la solitude silencieuse des marais, noyés d’ombre et de