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planent sur notre tête. J’ai beau chasser de mon esprit les idées noires, je suis assailli de reproches, de remords, de terreurs. Ma conscience ne me laisse plus en repos et je me pose sans cesse l’angoissante question. Et si ce qui n’est pas arrivé arrivait ?… Ma confiance est morte, enfuie ma belle sérénité ! Il s’est creusé entre Jeanne et moi un fossé profond que rien ne comblera. Elle le sent aussi. Elle a l’intuition secrète de ce qui se passe en moi. Mais elle s’évertue à cacher son appréhension, et je surprends souvent dans ses grands yeux un éclat dur qui ne me dit rien qui vaille.

Et voici l’heure de la séparation. La buvette de la gare regorge de clients et Morlaix exhale le bruit intrépide de ses rues animées. Jeanne va partir par le premier train, ce train qui emportera à jamais mon dernier amour. La mine défaite et les yeux rougis de mon amie me font mal. Je voudrais la bercer, la consoler, lui dire des choses impossibles, des rêves fous. Mais à quoi bon ? il vaut mieux finir tout de suite, être fort une bonne fois ! Il faut qu’elle oublie. Elle oubliera. Tout à l’heure elle va disparaître de ma vie, et ce sera fini, bien fini. Elle a levé sur moi son regard triste.

— Fanfan, je suis sûre que tu ne m’as pas pardonnée… Dis-moi que tu m’aimes toujours, que tu ne m’en veux pas ?

— Mais tu es folie, ma petite. Bien sûr que je t’aime ! Comment pourrais-je t’en vouloir, mon adorable princesse ?

Sans souci des consommateurs qui nous épient, je la presse tendrement. Rassure-toi mon bel amour. Je t’aimerai toujours, toujours.

— Bien vrai ?

— Vrai !

Un obscur espoir la ranime.