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Je m’étonne. À travers une fenêtre du rez-de-chaussée je glisse un regard dans le salon. Les deux sœurs mutilées sont assises devant le clavier. L’une exécute la main droite, l’autre la gauche et elles jouent impeccablement cette fois… Deutschland uber alles.

Je rêve : elles, les vaillantes Polonaises ce chant de leurs bourreaux !

Mais, à terre, quel est ce rectangle clair ? Un matelas, sur lequel est étendu un blessé, un mourant. Ah ! justice immanente, le commandant qui a ordonné le supplice est venu finir chez ses victimes, et les sublimes filles de pardon versent sur l’angoisse du départ le baume du chant national !

L’air s’arrête brusquement. Thèje et Sonia se sont levées, un émoi sur le visage. Elles s’inclinent devant la couche de l’ennemi et quittent le salon ; leur bourreau n’est plus. Quand tout à l’heure, j’ai salué les douces martyres, j’ai été sur le point de ployer les genoux » [1].

Celles-là sont des héroïnes, filles spirituelles de Sainte Blandine, dont l’abnégation plus qu’humaine nous transporte d’une horreur sacrée.

Plus nombreuses sont les femmes qui, saisies d’une haine sainte, s’arment comme les hommes pour constituer avec eux des corps de francs-tireurs. Armés de vieux fusils, de faux, de piques, hommes et femmes constituent des patrouilles volontaires, battent en tout sens un pays qu’ils connaissent bien et gênent l’avance des Allemands.

L’un des beaux exploits de cette guerre de guérilla fut accompli par un bataillon exclusivement composé de paysannes polonaises. Un détachement allemand entier fut surpris et fait prisonnier. Le grand duc Nicolas lui-

  1. Paul d’Ivoi. Femmes et gosses héroïques.