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maison, la femme doit se préparer de bonne heure à son rôle. Toute petite, il lui faut apprendre « à gouverner quelque chose, à voir la manière de faire des marchés de tout ce qu’on achète, et à savoir comment il faut que chaque chose soit faite pour être d’un bon usage ».

Dispensatrice de la propriété des familles, c’est à elle qu’incombe d’administrer la fortune, que cette fortune soit, comme il arrive la plupart du temps à la ville, mobilière ou que, comme c’est le cas le plus fréquent à la campagne, elle soit composée de biens-fonds.

L’administration de la fortune exige une foule de connaissances qu’on n’a pas accoutumé de donner aux femmes et qui sont cependant essentielles : « connaissances agricoles sur le meilleur mode de culture des terres, sur la vente du blé, sur la meilleure manière de faire des fermes, connaissances en droit féodal sur les différentes natures de revenus, la levée des rentes et des autres droits seigneuriaux ». Presque dans les mêmes termes où, trois siècles avant lui, Christine de Pisan énumère à la « haute et puissante dame » la liste de ses devoirs, Fénelon trace à la jeune fille destinée à devenir cette haute et puissante dame le programme des connaissances indispensables à l’accomplissement de ses devoirs. Elle devra connaître : « ce que c’est que fief, seigneur dominant, vassal, hommages, rentes, dîmes inféodées, droit de champart, lods et ventes, indemnités, amortissement et reconnaissances, papiers terriers… » ; ces connaissances sont nécessaires puisque le gouvernement des terres consiste essentiellement dans toutes ces choses. »

Comment, enfin, une femme peut-elle aider son mari à administrer sa fortune, comment peut-elle, veuve, défendre son patrimoine et celui de ses enfants si elle n’est apte à se retrouver dans le labyrinthe des lois ?

Qu’elle sache donc les principales règles de la justice, par exemple la différence qu’il y a entre un testament et une donation, « ce que c’est qu’un contrat, une substitution, un partage de co-héritiers, les principales règles du droit et des coutumes du pays où l’on est pour rendre ces actes valides, ce que c’est que propres, ce que c’est que communauté, ce que c’est que biens meubles et immeubles. » Qu’elles possèdent aussi des notions pratiques « sur la fureur de la chicane, et l’humeur variable de la justice » ; qu’elles sachent combien facilement une bonne cause devient mauvaise. Ainsi elles écouteront leurs gens d’affaires sans se livrer à eux.

Ici, Fénelon est très en avance non seulement sur son époque, mais même sur la nôtre. Nul cours pratique de législation n’est inscrit au programme des études secondaires des jeunes filles —