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état, pour peu qu’elle ne soit point sotte, de soutenir une conversation.

C’est justement parce que ces idées sont assez courantes qu’une réaction se produit : l’Éducation des filles, de Fénelon (1688), et toute l’œuvre pratique de Mme de Maintenon, non moins que les instructions théoriques de cette dernières, en sont les deux plus éclatants témoignages.

Fénelon, qui eut tant d’influence sur les âmes féminines et dont une vaste expérience fortifiait les intuitions d’un grand esprit, n’a pu manquer de remarquer et combien l’instruction des filles était négligée et combien cependant, pour le bien public, la morale et l’intérêt même de la religion, il était désirable qu’on se préoccupât sérieusement de l’organiser.

Bien ou mal, constate-t-il, on s’occupe de l’éducation des garçons. Pour les filles, on se laisse guider par un préjugé commun : la science rend les femmes ridicules : et on les abandonne aveuglément à la conduite de mères ignorantes et indiscrètes. Or. si ne devant ni gouverner l’État, ni faire la guerre, ni entrer dans le ministère des choses sacrées…, elles peuvent se passer de certaines connaissances qui appartiennent à l’art militaire, à la jurisprudence…, à la théologie, si même la nature s’oppose dans la plupart des cas à ce qu’elles exercent les arts mécaniques, il ne s’ensuit pas qu’elles n’aient rien à apprendre. Car, pour être différent de celui des hommes, leur rôle n’en est pas moins important. « Ne sont-ce pas les femmes qui règlent tout le détail des bons domestiques et qui, par conséquent, décident de ce qui touche de plus près à tout le genre humain ? » Et avec une singulière pénétration, Fénelon note que le pouvoir des hommes est en définitive illusoire si les femmes n’acquiescent à leurs décisions et que les hommes, qui ont toute l’autorité en public, ne peuvent, par leurs délibérations, établir aucun bien effectif si les femmes ne l’aident à l’exécuter. En un mot, et cette formule rendrait fort bien sa pensée, les hommes font les lois, les femmes font les mœurs.

Elles sont donc, quoi qu’on en dise, appelées à jouer dans l’état un rôle qui, pour être caché à un observateur superficiel, n’en est pas moins capital et aussi utile au bien public que celui des hommes. L’on s’en convaincra davantage encore si l’on considère que le bonheur et la prospérité publics viennent en dernière analyse du bonheur et de la prospérité de toutes les familles et que, d’autre part, nulle nation n’est florissante si ses citoyens ne sont élevés dans le respect des institutions et la crainte de Dieu. Or, n’est-ce pas sur les femmes encore que repose toute la famille ? N’est-ce pas à elles