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que, dès le xviiie siècle, le travail féminin, sous toutes ses formes, fut l’un des éléments essentiels de la vie du pays.

Si au xviiie siècle, plus peut-être qu’à nulle autre époque, la France apparaît aux étrangers, qui volontiers la fréquentent, y laissent leur or, en font le centre intellectuel du monde, en rapportent dans leurs pays respectifs les idées nouvelles, comme le lieu de la terre où il est le plus doux de vivre, où un homme intelligent peut le mieux être compris, n’est-ce pas à la Française que, pour la plus large part peut-être, elle fut redevable de cette réputation ? L’élégance fastueuse des grandes dames, modèles de l’univers mondain, le simple goût des bourgeoises, la grâce souriante avec laquelle les filles de boutique présentent l’article de Paris, la beauté et l’esprit des comédiennes et des filles d’Opéra, voilà ce qui d’avance attire l’étranger. Et la délicate urbanité de la foule, l’intelligence avisée de celles qui, par leurs salons, gouvernent la république des lettres, l’activité et le dévouement dont elles savent faire preuve pour établir une réputation, voilà ce qui les retient et contribue à donner à la société française ce caractère cosmopolite qui est, à cette époque, l’un de ses traits les plus curieux.

La place tenue par les femmes dans la vie intellectuelle voilà, en effet, l’un des aspects les plus essentiels de l’activité féminine à l’époque qui nous occupe. À aucune époque, les salons n’exercent sur le développement des idées, sur leur expression, sur leur diffusion, une telle influence ; à aucune époque, la littérature ne porte davantage la marque de cet esprit de conversation, de ce goût de la précision et de la limpidité qui dominaient dans les salons. Or, la femme est, aristocrate ou bourgeoise, l’âme des salons. C’est elle qui a fait naître l’esprit de conversation et qui lui donne sa tournure particulière, c’est son suffrage qui, dans les petits cénacles où se font, pour le dehors, réputations et succès, est recherché d’abord par l’écrivain. C’est donc du goût féminin que relève toute la littérature. Or, celle-ci est alors, comme le luxe, comme la grâce et l’urbanité, l’un des plus beaux fleurons de la couronne française, l’un des éléments essentiels du prestige de la France et de sa royauté spirituelle.

Ainsi, au xviiie siècle, la femme française a contribué, dans une bien plus large mesure que ne l’a enregistré jusqu’ici l’histoire officielle, à former le corps et l’âme de la France. Et quelques-unes des manifestations les plus caractéristiques, les plus jolies, les plus attirantes de la vie française, au siècle de l’Encyclopédie, ne sont telles que parce qu’elles représentent le déploiement des activités féminines.